Il croit en un Dieu d'amour mais la religion des hommes le laisse sceptique, il aime les lamantins pour leur grâce de sirènes obèses, cite le grand Ron Carlson parmi ses auteurs favoris - trois raisons parmi d'autres de lui offrir un scotch si vous débarquez un jour en rêve dans le bar des raconteurs -, il a 33 ans, l'âge où certains meurent pour les autres, et lui se contente de brûler un peu (beaucoup) pour la littérature : David James Poisssant ? Une révélation, rien de moins. Le Paradis des animaux sort dans quelques jours chez Albin Michel, peu de temps après Toute la lumière que nous ne pouvons voir (autre bijou printanier fraîchement auréolé de son Pullitzer dont nous reparlerons ici très bientôt), et vous pouvez, vous devez l'acheter les yeux fermés : c'est un recueil d'une puissance considérable qui vous réconciliera avec la forme courte et la littérature du sud si tant est que vous étiez, quoi, fâchés ? - on ne sait jamais, un malentendu -, avec cette langue sèche et douce comme la main d'une sorcière, et cette cruelle empathie propre aux magiciens de la concision, ceux qui font tenir un monde en six pages, ceux qui n'ont besoin que de deux lignes pour camper une intrigue ou un personnage - "Quand Crystal l'a quitté, Cam a obtenu la garde de l'enfant, ce qui montre bien quel genre de mère elle était".
La couverture évoque un personnage de Bret Easton Ellis si Bret Easton Ellis s'intéressait aux gens fauchés, s'il voulait montrer autre chose que l'homme vide. Poissant, lui, s'intéresse à tout le monde : les salauds, les meurtris, les assassins, les suicidés du cœur, les funambules pleins d'ivresse, les clowns ébahis, les cons, les pleins de grâce, un peu vous, un peu moi. Vous pleurerez, sans doute, j'espère bien que vous pleurerez, ce n'est pas si fréquent d'avoir envie de dire merci quand on se prend une série de coups de poings dans la gueule - un chien qu'il faut tuer, un fils qu'on ne connaît pas, des gens doués pour la perte et l'échec, vous méditerez sur d'autres malentendus, d'autres amours, la fragilité du mot "possible", sur cette frontière entre le bien et le mal, sur les contours de la mangrove quand tombe le rideau noir d'une nuit sans lune. Vous verrez ce que ça fait, tiens, quand un loup s'invite chez vous et demande des mocassins.
"Je lui tends les mocassins, et le loup se lève pour les enfiler. Ils sont trop grands, mais il serre les lacets jusqu'à ce qu'ils fassent comme des balles de tennis autour de ses pattes, à l'image de celles que Tyler mettait aux extrémités de son déambulateur après la perte de sa première jambe.
"C'est tout ce qu'il me reste de lui", dis-je.
Le loup ferme les yeux et baisse le museau, l'air sombre; comme pour dire à la fois : Je suis sincèrement désolé et Je les prends quand même.
Vous verrez ce que ça fait, et vous n'en saurez pas plus, pas ici en tout cas : la prose de David James Poissant est pure animalité, pur poison naturel - le plaisir physique et très concret de la littérature est là, condensé en 330 pages, je laisse à d'autres les analyses techniques et les savantes interprétations allégoriques, moi, quand King Kong arrive, je ne sors pas mon guide de la forêt illustré.
David James Poissant, Le Paradis des animaux, traduit par Michel Lederer pour la magnifique collection Terres d'Amérique de Francis Geffard chez Albin Michel.