Aquarium ne sort que dans trois semaines. Vous avez le temps de prendre une longue, très longue inspiration. Le moment venu, ce roman vous arrachera le cœur et le laissera palpitant, tel un poisson jeté sur le pont d’un crasseux chalutier. Vous contemplerez votre cœur, sidéré, et vous vous souviendrez que, si un grand livre peut devenir un ami, il ne sera jamais de ceux qui vous disent ce que vous désirez entendre.
Caitlin a douze ans et habite avec sa mère dans un appartement de la banlieue de Seattle, près de Boeing Field. Sa passion ? L’aquarium de la ville. Elle aime s’y réfugier, s’abstraire du monde et du temps froid. Bientôt, elle rencontre un vieil homme (« Il était très vieux, du genre presque mort »), qui semble partager son intérêt pour les poissons. Doit-elle parler de lui à sa mère ?
Si Aquarium est une route – forcément descendante –, elle traverse les flammes et n’est bordée d’aucun panneau indicateur. En quatre romans, David Vann s’est fait une spécialité de ces livres étouffants et intenses, de ces tragédies aux accents bibliques qui entraînent leur lecteur vers les abysses sans jamais s’enquérir de son inconfort, de sa terreur éventuelle.
Jusqu’à présent, Vann ne parlait que de sa famille. L’horizon s’est, disons, élargi. Caitlin est la grâce. L’amour rayonnant, la lumière inaltérée, celle qui touche le fond, comme un doigt brûlant percuterait votre front. Il vous faudra concentrer tous vos espoirs sur cette petite, profiter à son image de chaque fugace éclaircie, coller votre front à la vitre et fermer les yeux pour mieux humer les profondeurs.
Ce livre est un livre sur le pardon. Si vous pensiez connaître le sens de ce mot, préparez-vous à réviser sérieusement votre jugement : préparez-vous à la honte et à la reconnaissance. Sheri est la mère de Caitlin. Plusieurs fois, vous voudrez la saisir par le bras et la tirer en arrière (une brutalité dont vous ne vous seriez jamais cru capable ; mais saura-t-on un jour de quoi on l’est ?). Plusieurs fois, vous voudrez hurler – pour couvrir ses cris, par exemple. Et ça ne donnera rien : elle ne vous entendra pas. Sans rire, gueulez tout ce que vous voulez. La puissance d’Aquarium réside dans votre impuissance même. Tout peut être dit parce que tout doit l’être, et vous n'y pouvez rien.
La beauté bariolée de ce roman qui, par endroits, évoque Faulkner et McCarthy, réside dans le fait que vous devez vous en remettre à sa voix : comme on saute d’une falaise, comme on s’enfonce dans la nuit.
Il est une main qui ne vous lâchera pas, pas même quand le monde sera devenu noir. C’est tout ce qu’on peut vous promettre. C’est déjà tellement.