Est-ce qu'il reste encore un truc intelligent à dire en faveur du mariage gay, de l'adoption, un truc qui ne donnerait pas l'impression d'enfoncer une porte ouverte avec un bélier en titane ? Est-ce qu'il n'est pas légèrement évident que nous devrions cesser une fois pour toutes de nous préoccuper de l'orientation sexuelle d'autrui, l'un des sujets les moins intéressants au monde ? Est-ce qu'il n'a pas été maintes fois expliqué et démontré, par des études sociologiques et anthropologiques, puisque le bon sens ne semble pas suffire, que notre joyeux modèle hétéronormé n'est qu'un modèle parmi d'autres, dont rien ne garantit la supériorité ni même la validité (et quand bien même) ? Est-ce que la crainte de voir la noble institution du mariage écornée, voire taillée en pièces par l'accueil en son sein de la minorité gay ne ressemble pas à une blague pourrie de plus, à la dernière éructation du vieux tonton facho placé en bout de table et à qui personne n'ose dire de fermer sa gueule ? Est-ce que quelqu'un, parmi tous les horribles connards coincés de cette génération qui n'a pas connu le SIDA mais a copieusement foiré sa libération sexuelle, ou parmi une Eglise qui serait bien inspirée de la fermer pour toujours sur le sujet de la sexualité, a la moindre idée des souffrances endurées par la communauté gay-bi-trans depuis, non seulement des siècles, non seulement des années, mais aussi des jours - ces derniers jours, empoisonnés par des débats puant la trouille, la haine et la tristesse, reflets de cette vieille homophobie chronique et mortifère qui empoisonne le monde depuis la nuit des temps ? On a l'impression que la machine à remonter le temps de la droite, d'une certaine droite vaste et ectoplasmique, a fonctionné à plein régime récemment : bienvenue au terrifiant pays de Oui-Oui-Big-Brother, où l'enfant est un petit oiseau élevé par son papa et sa maman qui ne s'engueulent pas, ne se trompent pas, ne divorcent pas, et lui transmettent calmement les jolies valeurs qui lui permettront un jour de quitter le gentil nid en ayant bien compris, parce que c'est tellement important, qu'une fille ne doit pas lécher la chatte d'une autre fille et qu'un monsieur ne doit pas insérer son pénis dans le cul d'un autre monsieur - un monde tellement merveilleux que l'enfant devenu vieux ne le quittera qu'au terme d'une longue et humiliante agonie, attendu que l'euthanasie, n'est-ce pas, n'est pas non plus au programme. Les arguments "contre", on les connaît : aucun ne tient. La configuration est assez rare pour être signalée. Aucun ne tient sans dériver gentiment vers la terreur ou l'ignorance, sans révéler une fantasmatique au mieux baroque et flippante, au pire totalitaire. Est-ce qu'on demande à des futurs mariés s'ils sont déjà lu un vrai livre de leur vie, ou à des aspirants à l'adoption si leur idéologie catho et/ou ultra-libérale, par exemple, ne va pas transformer l'existence de leur rejeton en un énorme tas de merde ? Peut-être qu'on devrait exiger ça, tiens. Mais on le fera pas. Parce qu'on n'est sûr de rien, parce que c'est pas notre famille et parce que, hey ! it's a free country. Amis hétéros pétochards, ne craignez rien, le mariage et l'adoption gay ne détruiront pas le monde : le monde se débrouille très bien tout seul, quelques teufs de plus ne lui feront aucun mal, au contraire. Et puisque vous cessez de répéter qu'il y a des choses plus importantes dans la vie, occupez-vous de votre cul, et tâchez simplement de faire en sorte que ce siècle soit un peu moins atroce que le précédent, thanks.