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La triste vie de Bedřich Smetana : seul survivant d'une famille de onze enfants, il se marie : trois de ses propres filles décèdent. Sa femme meurt à son tour, aussi discrète qu'un soupir. Épousailles encore. Sa nouvelle femme le prend en grippe. "Je ne puis vivre plus longtemps sous le même toit qu'une femme qui me hait et me persécute." Si, tu peux. Mais tu es épuisé. Tu deviens sourd, d'une oreille, de la seconde. Pas assez pour ignorer les critiques qui s'abattent sur ton œuvre cependant, les jalousies, les sombres manœuvres de tes rivaux ourdies dans l'ombre. Mais Smetana compose encore : chacun connaît au moins sans le savoir La Vltava, deuxième poème de Má Vlast, merveilleux cycle de six poèmes symphoniques consacrés à la mère patrie. Il faut imaginer ce que devient la musique pour un sourd : chaque note posée sur la portée, des clés pour un monde impossible. Fermez les yeux et vous verrez la Moldau s'écouler, lente, inexorable, les paysans danser, la nuit de Bohème s'animer de mille prodiges. Et puis l'homme s'exile à Jabkenice, au nord-est de Prague (Kafka choisira Siřem au nord-ouest, lui, quoique pour d'autres motifs - décidément, cette petite mère a des griffes), et puis il devient fou, et puis il devient violent, comme si ces années convulsives ne pouvaient partager leur désir d'être taillées en pièces qu'entre la tuberculose et la syphilis. Des cauchemars grimaçants assaillent le maître. On aimerait connaître le torrent furieux qui les accompagnait. Smetana finit ses jours dans un asile. Demeure le fleuve.