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"Mis à part la respiration qui s'arrête, le sommeil et la mort se ressemblent tant." James Salter est mort vendredi 19 juin dans un club de gym de Sag Harbor, bourgade côtière des Hamptons, lors d'une séance ré-éducative consécutive à une légère faiblesse du cœur. Le cœur : son point faible et d'incandescence, l'axis mundi d'un œuvre délicate chroniquant le déferlement chaotique du temps. Les livres de ce gentleman étaient publiés aux éditions de l'Olivier avec, on le sentait, un soin particulier, de l'amour. Je nourrissais pour James Salter une affection particulière, de celle qu'on réserve aux figures légendaires et lointaines. Il avait atteint un âge étrange (90 ans) où l'on ne meurt plus vraiment parce que, dans l'esprit des gens, on est déjà mort - ou à tout le moins figé dans une sorte de sursis éternel. Il était l'élégance incarnée ; souvent, portait des chemises bleues accordées à son regard bleu-gris. "Il y a des moments ou l'on est important, d'autres ou on existe à peine." La prose de l'homme, tirée à quatre épingles, était toute de concision, de précision. Brûler la vie puis tamiser les cendres, voilà comment il procédait. Chaque mot juste, pesé, évalué comme la balle d'un fusil, rien de trop, rien de gras, rien d'affecté - il parlait de l'amour comme on parle de la guerre (un sujet qu'il connaissait bien, lui l'ancien pilote de l'US Air Force parti en Corée en 1952) au pays terrible des frappes chirurgicales. Ses mémoires, ses histoires, tout se confondait un peu. On avait eu, récemment, l'occasion de s'extasier en privé sur Et rien d'autre (All that is), sixième et dernier roman d'un vieillard alerte à propos duquel - un problème récurrent, avec ses livres - il était bien difficile d'émettre un jugement autre que "c'est parfait." Parce que oui, tout était là, l'essence de la vie raclée jusqu'à l'os, le squelette d'une narration bizarrement exhibée, les circonvolutions de l'âme passées au microscope d'une écriture sèche, volontiers digressive, ne jugeant jamais parce que laissant cette trivialité au lecteur. Et puis plus rien. Lieutenant Horowitz ? Rompez. Sans doute, nous ne mourons pas : c'est juste le monde qui nous quitte. "Cela n'a été qu'un rêve. Une longue journée, un interminable après-midi, des amis s'en vont, nous restons sur la berge."