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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

when i was an alien

Publié le 2 Juin 2015 par F/.

when i was an alien

C'est plutôt facile de vouloir mourir. Parfois, on a l'impression de n'être que génétiquement équipé, et assez mal, encore, pour résister à l'idée de suicide : on a l'impression que ça ne tient qu'à ça, le temps que vous fassiez des gosses. Équipé, Kurt Cobain ne l'était pas. Un père inexistant, une mère qui pensait que l'amour ressemblait à une surprise trouvée dans une boîte de céréales, son esprit se résumait à une centrifugeuse cinglée remplie de billes en fer et des maux de ventre chroniques le torturaient. But hey, comme dirait Frank Black, si vous n'avez pas mal tout le temps quelque part, si vous n'avez pas sans cesse envie de hurler, si la vie ne vous apparaît pas tout à la fois comme un cadeau redoutable et comme un risible paquet de merde, c'est peut-être que vous êtes complètement con, non ? Kurt Cobain ne l'était pas. Kurt Cobain prenait des drogues. Soulevait sa guitare, l'arrachait à la pesanteur, la fracassait au sol : chroniquement aussi. On sait maintenant que deux accords suffisent pour envoyer le monde se faire foutre. Hurler. S'allonger sur une voie de chemin de fer et regarder le train arriver en hurlant plus fort que vous. Le train passe sur l'autre voie. Merde : cela veut sans doute dire que vous devez monter un groupe. Mais si vous êtes seul parce que vous savez, et si vous êtes non-équipé, que votre perception aiguë des choses et des personnes vous fouaille les tripes à chaque seconde, ça risque d'être facile. Trop facile. Nirvana. Extinction des feux. Fin de la souffrance. Libération. Trois disques. Dès le deuxième : succès planétaire, absurde, destructeur. Kurt Cobain dessine de petits personnages qui vomissent et qui saignent. Kurt Cobain n'est qu'amour mais c'est trop peu pour le feu du monde. Kurt Cobain supplie : "Entertain us". Kurt Cobain veut avorter le Christ. S'endort pendant les interviews. Transforme ses bras en passoire. Montre sa bite à la caméra. Lui, le porte-parole débraillé d'Aberdeen. Lui, le prophète sans message - à moins que "fuck you" soit la nouvelle parole divine (notez que ce n'est pas impossible). Courtney arrive, l'ange révélateur. Kurt "fait" un enfant. Le voici libéré de la mort permanente. De fait, la vraie mort ne tardera pas. L'un des moments les plus forts de Montage of heck, le magnifique documentaire HBO écrit et réalisé par Brett Morgen qui m'inspire cette rêverie matinale, tient dans ses deux premières minutes. Interviewé chez lui, Krist Novoselic soupire. Il est quasi chauve, maintenant. Semble un peu étonné d'avoir traversé cette vallée de flammes. Il dit en substance que tout était très clair. "Nous aurions dû voir les signes." Back to 1992. Festival de Reading. Des dizaines de milliers de fans crient leur dévotion à travers la nuit fuligineuse. Affublé d'une perruque pisseuse, Kurt débarque en chaise roulante, poussé par le journaliste Everett True. Krist l'encourage. "He’ll pull through. With the help of his friends and his family, he’ll pull through”. Kurt a le sourire le plus désolant du monde : un enfant à qui on vient d'expliquer la signification du terme "leucémie lymphoblastique." Soudain, il se lève. S'agrippe à son micro comme une vieille grabataire. D'une voix chevrotante, entonne le "Some say love is a river" de Bette Midler. Puis s'effondre, foudroyé en pleine lumière. Sur quoi le générique déboule, tel un psychopathe poursuivi par un essaim de guêpes. Le fond sonore ? Territorial pissings - le morceau le plus radical du groupe (et mon préféré, à vrai dire - il me rappelle mes 19 ans, j'étais en école de commerce, j'attendais d'être sauvé), morceau qui, faut-il le rappeler, s'ouvre sur l'injonction suivante : "Come on people now, smile on your brother and everybody get together, try to love one another right now " et s'achève sur "Just because you're paranoid, don't mean they're not after you". Tu aimes les gens, mais ils t'aimeront quand même. Ton nom scandé. Les rires de ta petite fille. Tu crèveras de savoir qu'on est toujours plus seul qu'on le croit. (Et je n'ai pu m'empêcher de songer, en écoutant ce presque vieux et très beau Kurt chanter d'une voix littéralement déchirée l'immortel et anonyme My girl - "I'm going where the cold wind blows..." - que, dans ce monde nouveau, le monde de l'iPhone 28 et des gémissements FB, ledit blondinet aurait eu la bonne idée de se flinguer beaucoup plus tôt ou de monter un groupe de folk anonyme et de partir faire la tournée des pubs du Kansas - une solution comme une autre pour arrêter de souffrir en vain.)

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L
OK, respect.<br /> Et puis on peut éviter la balle qui tue (ou le pont), passer par-dessus le version Franck Black, passer alors peut-être pour un con aussi, mais tant pis : la vie, quoi. La vie.
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