C'est un tableau plutôt simple en apparence, mais c'est aussi un trompe-l'œil : Le Chardonneret de Carel Fabritius, génie néerlandais entré en apprentissage chez Rembrandt en 1642 et dont Johannes Vermeer fut sans doute l'élève, représente à la fois l'alpha et l'omega éponyme du troisième roman de Donna Tartt, The Goldfinch en anglais. Fabritius a trouvé prématurément la mort dans l'explosion d'une poudrière, privant le monde d'un génie qui s'exerçait surtout, et pour autant qu'on puisse en juger, dans une recherche très particulière de la lumière - divine ou non, à chacun de voir. Daté de 1654, ce qui en fait l'une des dernières oeuvres du peintre, Le Chardonneret ( 33,5 × 22,8) est actuellement exposé au Mauritshuis de La Haye. N'y allons pas par quatre chemins : après l'inoubliable Le Maître des illusions, et l'assez dispensable (quoique un brin sous-estimé) Le Petit copain, Le Chardonneret est à mes yeux un authentique chef-d'œuvre, le premier texte à me faire, non pas "oublier" Confiteor mais, au contraire, retrouver une jubilation de lecture que j'imaginais pour longtemps perdue. Du bijou de Jaume Cabré, le gros roman de Donna Tartt ne possède peut-être pas l'inoubliable profondeur métaphysique (on pourrait en discuter ; disons qu'on se sent plus aux commandes d'un avion qu'à celles d'une foreuse) ni sa malicieuse inventivité formelle, mais l'incroyable talent de narratrice de l'auteur, son sens aigu du détail et de l'observation assez comparables, finalement, à ceux des grands peintres, font du Chardonneret un Bildungsroman contemporain tout à fait unique, un peu comme si Bret Easton Ellis (le vieux compagnon de campus oublié) avait passé son temps à lire des bouquins de philo et à se perdre dans de vieux et merveilleux musées plutôt que de zoner à Hollywood sachet de coke en main. Un enfant devant un tableau, l'amour idéal d'une mère à jamais perdue, un enchaînement de catastrophes et de révélations en forme de spirale dantesque, au sens littéral du terme - et encore : une description de New York ahurissante de réalisme (si vous aimez cette ville, si vous rêvez de vous y perdre, ce livre ressemblera à une lampe levée dans les ténèbres par une main blanche, au loin), un passage inoubliable à Vegas & quelques gouttes de thriller : pour l'heure, je n'en dirai pas plus, Le Chardonneret ne sort que dans treize jours et j'aurai le temps de revenir dessus ici et ailleurs, mais on peut d'ores et déjà prédire à ces 780 pages vénéneuses un immense destin en nos contrées, et ce sera mérité. Coup de chapeau au passage à Edith Soonckindt pour sa traduction fidèle et sensible. Pour le reste, tous en librairie le 9 janvier.