On distingue mieux les signes après coup. Peut-être qu'on croit comprendre. Ce n'est pas important. Toute la journée, j'ai écouté une chanson appelée Freedom. Et j'ai commencé un livre appelé Underground. Dans la journée, je me suis demandé : est-ce que je passe ? J'ai décidé que non. Je me suis dit "tu passeras demain". J'avais des corrections à finir, un livre avec "mort" dans le titre. Je dois dire que je n'ai pas super bien joué sur ce coup-là. Mais sa femme était là, et sa fille, et sa soeur, et sa nièce - un aréopage de femmes retenant leur souffle et le sien - c'était très bien comme ça.
Hier soir, les copains sont partis, on a bien ri, on a bien bu, c'était bon de les avoir. "On devrait éteindre la lumière", a murmuré ma femme. Et puis le téléphone a sonné. Il était 1h27. La nuit a été courte ; la nuit continue. Tout ce qui se passe maintenant, ce n'est pas difficile pour moi. C'est compliqué pour les autres. Moi je suis là. Je suis content de savoir au moins faire ça : être là. L'oncle de ma femme est partie cette nuit, dans ce qu'il faut bien appeler son sommeil, en tenant la main de son épouse. Nous avons raccompagné cette dernière chez elle, à Montmartre. C'était une nuit froide mais il n'a pas neigé. La mère voulait que nous soyions là quand elle annoncerait la nouvelle à sa fille. C'est fini, elle a dit, il n'a plus mal, et maintenant, il est partout. La fille a pleuré. Ma femme lui a caressé le front, les mains, elle l'a embrassée, ma femme est très forte pour ça et pour beaucoup d'autres choses. La problème de ceux qui restent, c'est qu'ils ne sont nulle part sauf en un seul endroit : on appelle ça la vie. Cet hiver, j'ai lu Le Livre des morts. Nous sommes de toutes petites choses mais c'est déjà pas mal.