"Ainsi l'homme noble tient le vulgaire à distance,
Sans colère mais avec mesure."
(Yi-King, La Retraite)
Il flotte un parfum nauséabond sur les réseaux sociaux ces jours-ci. Ici et là, des voix s'élèvent pour défendre le droit à *l'humour* de Natacha Polony, qui le défend très bien toute seule, à première vue, sortant ses petites griffes dans un post consternant publié sur le site de Marianne. Parce que des voix se sont élevées pour critiquer son tweet fumeux (une photo de mendiante rom accompagnée d'une légende « Leonarda de retour en France pour la Fashion Week », trop lol), la journaliste fustige les "Torquemada de bazar médiatique", les "grands Inquisiteurs ès-humour" qui l'empêcheraient de.... de quoi, au juste ? De rien. Polony n'est menacée de rien, et tout le monde le sait. Personne ne l'empêche d'être affligeante, on serait au courant. Personne ne l'empêche de se réclamer du peuple (elle cite un sondage du Parisien indiquant que les "gens", dans leur grande majorité, ne trouvent pas son tweet choquant - pourquoi l'a-t-elle retiré, du coup, elle essaie d'expliquer mais ce n'est pas très convaincant) et personne n'empêche ses défenseurs de citer Coluche ou Reiser, puisqu'il n'existe aucune loi contre l'art de tout oser. C'est devenu le grand credo du moment, cette histoire de liberté d'expression menacée. Il y aurait donc, d'un côté, les valeureux libres-penseurs non-encartés (Zemmour, Finkielkraut, etc.), qui ont, comme chacun sait, toutes les peines du monde à se faire entendre et, de l'autre, les garants d'un nouvel ordre moral, usant de méthodes para-staliniennes, faisant régner un vent de terreur sur le paysage médiatique français (rappel : Libé vend aujourd'hui à 35 000 ex.), et allant presque, violence suprême, jusqu'à politiser l'affaire. "Je ne vous laisse pas la facilité de me faire entrer de force dans votre clivage gauche-droite", clame Polony à qui veut l'entendre. Un autre trait d'humour brillant, sans doute, qui a au moins le mérite de clarifier involontairement le propos : dire qu'on est ni de droite ni de gauche, en France, c'est reconnaître qu'on est de droite (et quelle surprise, hein, venant d'une femme passée en dix ans de Chevènement au Figaro et déclarant le mariage homosexuel "contre-nature"), ce qui n'est certes pas une maladie honteuse à condition de rester dans le camp de la République, si ce n'est pas trop demander. Une suggestion à Natacha Polony pour une prochaine tribune : user de son sens aigu de la rhétorique pour, non pas défendre sa petite personne médiatique, mais attaquer ce qui doit l'être absolument et sans équivoque :
L'heure est grave, madame Polony, l'heure est très grave, l'heure est si grave que, osons la question, on peut aujourd'hui se demander si le talent de tous les fiers libres-penseurs-non-encartés-cloués-au-pilori-par-les-médias-trostkistes-mais-soutenus-par-le-peuple dont vous vous réclamez ne pourrait être mieux employé qu'à expliquer leurs vannes douteuses à des gens qui les idolâtrent déjà ou qu'ils ne convaincront jamais. Dans une ville moyenne du sud de la France, m'a récemment rapporté une interlocutrice affligée, on peut désormais traiter les Noirs de "négros" en pleine rue et s'étonner à haute voix qu'ils sachent utiliser des téléphones portables. Est-ce que c'est du Reiser, ça aussi, est-ce que c'est du second degré ? - et, puisqu'on en est aux éclaircissements, est-ce que vous ne pourriez pas dissiper deux minutes le saint halo de neutralité timorée qui vous nimbe pour pousser un coup de gueule éclairé et demander, par exemple, à tous les fâcheux qui ne supportent ni les Noirs, ni les Arabes, ni les Roms, ni les Juifs, ni les homos, ni les trans (pardon à ceux que j'oublie), de se jeter dans la mer juste une fois pour voir si, par hasard, la connerie veule ne serait pas soluble dans l'eau salée ?