Je n'ai pris connaissance du classement des Inrocks, évidemment, qu'après avoir établi le mien.
Chaque année, on tempête, on vitupère, et que c'est des cons, et que c'était mieux avant, bla bla. C'est vrai qu'il y a de quoi se marrer avec l'ex-meilleur journal musical de France. Les absences de The Kills (que j'aurais pu, c'est vrai, placer à la place de Eno & Byrne), de Deerhof et surtout des Walkmen dans les cinquante (!) premiers, ne prennent toute leur saveur que lorsque l'on sait que :
- Bloc Party (30e) est un groupe "génial et brave".
- L'album de Beck (24e) est "impeccablement produit" (par la Sciento ?).
- Crystal Castles (23e) crée une musique "violente" et "excitante" (notamment pour mes voisins lycéens de St Michel de Picpus).
- Scarlett Johansson (21e) a accouché d'un "grand disque magique" (exactement comme Carla Bruni).
- Les Black Kids (13e) forcent la pop anglaise "à danser comme une chienne" (mais n'est-ce pas ce que font toutes les femmes ?).
- Camille (12e) - non, attendez, je préfère recopier : "Sensuel, explosif, ludique, physique, formidablement riche vocalement comme musicalement, le troisième album de Camille est un grand copier-coller d'émotion."
- Sébastien Tellier (9e) est un "grand dément" (Technikart et l'Eurovision pensent tout pareil).
Etc.
Je passe sur la grosse poilade MGMT, "une baffe", une "fête païenne" pour laquelle "manquent les qualificatifs", qui se retrouve, oh what a surprise, sur la plus haute marche du podium, et sur l'insoluble équation que représente, pour un magazine disponible en kiosque, la difficulté de s'affranchir des pressions publicitaires, pour en venir à ce qui me désole : l'écriture des Inrocks, qui nous avaient enchantés au début des années 90, est devenu une sorte de grand bruit blanc hérissé de formules creuses et de superlatifs absurdes, façon Nouvel Obs pour trentenaires.
Globalement, tout est génial et grand et démentiel et ranime le cadavre du rock et fait danser la pop comme une chienne - mais personne n'y croit une seconde, et cette lassitude cynique, ce refus forcené de vieillir, avec ce qu'il implique de flamboiements lexicaux et d'évidentes injustices, empoisonne à présent chaque page du journal. Qui écrit ces articles ? Des stagiaires espérant un CDD ? Des CDD espérant un CDI ? Les employés des maisons de disque ? Un ordinateur ?
Qui rêve encore en lisant les Inrocks ? Qui les croit ? Qui les lit ? Qui sort de chez lui la bave aux lèvres en bredouillant "ohputainputainilmefautcedisque" ? Ce journal est comme le PS - comme une vieille grand-tante malade branchée de partout et qui refuse de mourir : il embarasse tout le monde.