Où voulait-on en venir ? A quoi rimait cette mascarade, cette mise en scène fatiguée aux allures de ballet pâle ? Des femmes nettoyaient le trottoir, savons en main, frottant jusqu'à ce que la pierre devienne du marbre. D'un pavillon voisin s'échappaient les accents venteux, striés de cordes, d'un orchestre en répétition. Un vent léger faisait ployer la cime des arbres. Aimez-vous le théâtre ? avait-on demandé aux époux de Saint-Simon. On leur avait promis une représentation de Brundibár, un opéra pour enfants donné pour la première fois l'année précédente dans les bâtiments Magdebourg. Plus tôt dans la journée, Batsheva et son époux avaient visité la salle de sport, qu'on venait de doter de nouveaux meubles, de jouets, d'un toboggan. Partout dans les rues étaient plantés des poteaux indicateurs ornementés de bacs à fleurs et de représentations symboliques, des scènes d'allégresse sculptées dans le bois peint. La vieille femme se tourna vers son guide, un adolescent au regard vif que l'officier Schäfer avait chargé de lui faire visiter les lieux. Elle avait découvert la « montagne du Sud », où l'on jouait au football, la « boulangerie blanche », où l'on distribuait le pain avec des gants, les ateliers flambants neuf, la belle bibliothèque et le café, où des formations musicales donnaient régulièrement des concerts. Tout était propre, ratissé, briqué de près et nul mendiant ne traînait dans les rues - pas le moindre vieillard.