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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

full-time punks (à propos d'Amy & Jordan)

Publié le 6 Novembre 2013 par F/.

Dans une première version du Pop Yoga de Pacôme Thiellement, à paraître très prochainement chez Sonatine, figurait un magnifique article consacré à Mark Beyer et son apocalyptique duo, Amy & Jordan - rien moins que la série de strips la plus outrageusement dépressive (et furieusement drôle, en fait) de tous les temps. Depuis septembre, une anthologie est disponible, présentée par les éditions Cambourakis, dont on ne soulignera jamais assez l'audace et la vivifiante énergie. Amy & Jordan ne se raconte pas, Amy & Jordan se vit, exactement comme un orage diluvien dont on aurait renoncé à se protéger : parce qu'il est bon d'être trempé par le désespoir, parce qu'il est doux de ne plus pouvoir rien faire. Coincés dans une mégalopole sans nom, représentation en cinquante nuances de gris bien crade de notre habitat de victime wasp congénitale, Amy & Jordan affrontent la mort, la souffrance, l'absurdité et l'ennui avec un détachement faussement zen, un sur-fatalisme de voyant qui leur confère une immortalité pour le moins malvenue. Chaque jour apporte son lot de catastrophes, de colère, de haine et de tristesse, et aucune fenêtre ne s'ouvre jamais, sinon sur un mur, sinon sur un miroir déformant ou un rêve pire encore que le réel. La réponse d'Amy et Jordan : se détester plus que le monde les déteste. Tout un programme, répétitif et fascinant, qui flirte sans cesse avec le nihilisme le plus exacerbé, l'auteur se riant des pathétiques tentatives (on n'a pas dit "espoirs") de ses personnages - et de lui-même - avec une rigueur SM sans égal. Jordan est dès le départ très clair : "ma capacité d'autodestruction a toujours été sans limite." Et rien ne changera jamais ça. Pacôme Thiellement : "C’est la répétitivité que connaissent les grands dépressifs, l’impression désagréable que tous les points du globe sont devenus absolument identiques, et qu’on peut bien faire le tour du monde, on se retrouvera toujours confronté aux mêmes lieux et aux mêmes gens, aux mêmes malaises et aux mêmes peurs. Amy et Jordan peuvent travailler, ne pas travailler, prendre des vacances, rester chez eux, faire des projections astrales dans leur sommeil, combattre contre des monstres ou des insectes géants, s’étendre au milieu de la rue ou rester des journées entières dans leur lit, ça ne changera rien à leur cauchemar." Ni à la délectation que nous prenons à suivre le déroulé de ce dernier, comme s'il était autre chose que l'existence elle-même, débarrassée de ses confortables mensonges. Hardcore, jouissif, et absolument unique.

 

 

Amy & Jordan, Mark Beyer, 288 pages en hardback, 24 euros.

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