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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

Rome et rien d'autre

Publié le 12 Mars 2014 par F/.

Jep Gambardella s'enfonce dans les territoires capiteux de la mort et le nom de la mort est Rome. Rome : figée sous le poids d'une beauté immémoriale et tuante dont l'esthète tente de retrouver l'écho à travers un lent brouillard de mondanités absurdes. Le bruit blanc du monde, le bla-bla lancinant pour se distraire du temps tandis que le Vrai sédimente ; et Jep, Jep : l'homme qui n'a goûté que l'écume des choses. Il faut voir Toni Servillo, dans l'une des nombreuses bacchanales que le film met en scène, il faut le voir danser mains levées, au ralenti, un sourire désastreux aux lèvres, pour comprendre ce qu'est la défaite. Partout, la mort. Et partout, cette beauté hautaine, inaccessible : Rome.

Je vois parfaitement ce qu'on a pu reprocher à La Grande Bellezza : une vanité sans limite couplée à une réalisation évidemment fellinienne, comme s'il n'existait, en Italie, que cette voie-là pour fustiger la décadence. Mais comment filmer Rome autrement ? Comment dire ce mélange unique de pourriture et de splendeur, tandis que les humains persistent à se trémousser au bord du gouffre ? Mépriser le regard désabusé que Jep promène sur son univers, c'est lui refuser notre pitié, c'est en vouloir à Patrick Bateman de ne s'intéresser qu'aux marques, feindre d'ignorer l'inévitable morale de ce conte moderne. Car que cherche le vieux Jep, écrivain sans histoires, en côtoyant des beautés fanées, en plissant les sourcils devant des installations d'art contemporain si grotesques qu'on ne les distingue plus de la vie pâle qui les a engendrées ? Il cherche ce qui n'existe qu'en lui, au plus profond - il cherche son âme dans celle, infiniment plus vaste, de la Cité Éternelle. Son appartement domine le Colisée ; les nuages déchirent le crépuscule ; au loin gémissent les violons du Kronos Quartet (B.O. sublime, de bout en bout). Jep erre dans la ville, tout le monde meurt doucement autour de lui - d'un souffle, une sainte centenaire agenouillée sur son balcon disperse un vol lourd de flamants qui repartent vers le sud. "Je connais le nom de chacun de ces oiseaux", affirme-t-elle, déjà ailleurs. Jep, lui, ne connaît plus le nom de rien. Alors, en attendant l'Heure, il déambule au cœur de la merveille.

Dans la scène d'introduction, sur la colline du Janicule, un touriste japonais émerveillé prend des photos de la ville avant de tomber, inanimé - et qui s'en étonnera ? Ailleurs, les chœurs minimalistes de l'Ensemble vocal de Turin ânonnent du David Lang entre les murs nus d'un couvent. Si vous vous relevez de cette mort-là, un conseil : quittez Rome sans attendre.

Rome et rien d'autre
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