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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

20 ans, toutes ses dents

Publié le 12 Mai 2016 par F/.

20 ans, toutes ses dents

La collection Terres d'Amérique fête ces jours-ci ces vingt ans (le bruit court d'ailleurs que des auteurs américains convergent aujourd'hui vers Paris avec la ferme intention de lever leur verre à ce joyeux anniversaire.) Désireuses de marquer le coup, les éditions Albin Michel publient 20+1, une volumineuse anthologie de nouvelles réunissant, pour la modique somme de 14€, la fine fleur des auteurs maison. Ceux qui s'intéressent à la littérature américaine, ceux qui suivent ce blog, aussi - ou qui m'ont lu dans Chronicart - reconnaîtront bien sûr quelques noms : Joseph Boyden, Anthony Doerr, Ben Foutain, et mes deux chéris de ces dernières années, Karen Russel et David James Poissant, auxquels il convient d'ajouter la grande Louise Erdrich, Benjamin Percy, Craig Davidson, Dan Chaon, Sherman Alexie, etc. Cette simple recension suffit à donner une idée de l'excellence - et du niveau d'exigence - du catalogue Terres d'Amérique, un label créé et dirigé par l'incontournable Francis Geffard, par ailleurs organisateur du festival America qui se tient tous les deux ans à Vincennes. Terres d'Amérique est l'une des rares collections dont vous pouvez acheter tous les livres les yeux fermés (de façon très partisane, j'y ajouterais Lot 49 au Cherche-midi, le domaine américain dirigé par Marie-Catherine Vacher chez Actes Sud, et l'essentiel du catalogue Gallmeister). Il faut par ailleurs souligner la place exceptionnelle accordée par Francis Geffard aux recueils de nouvelles, domaine chroniquement négligé en France, pour la visibilité duquel il se bat avec une fougue inlassable, et la grande qualité des liens tissés avec la plupart de ses auteurs. Bref : joyeux anniversaire, Terres d'Amérique, et surtout longue vie.

Je profite de l'occasion pour revenir brièvement sur deux livres aux charmes desquels vous seriez bien inspirés de céder. Le formidable Une nuit d'été de Chris Adrian, pour commencer, paru en janvier dernier et traduit par l'irréprochable Nathalie Bru (celui-ci ne fait pas partie au sens strict de Terres d'Amérique , mais c'est tout de même Francis Geffard qui le publie) : une merveilleuse - et très libre - transposition de l'immortel chef-d’œuvre de Shakespeare dans le San Francisco contemporain. L'intrigue, je ne la dévoilerai pas ici : c'est une nuit où les humains peuvent voir, c'est terreur sourde & marivaudage, danses impies & sauvagerie joyeuse mais l'essentiel, d'une certaine façon, est ailleurs : jamais - j'ai bien écrit jamais - je n'ai lu une évocation aussi troublante et puissante, parce qu'inscrite, notamment, dans une authentique contemporanéité, de ce que pourrait être le peuple des fées. Sérieusement : on jurerait que Chris Adrien les a vues, qu'il sort tout juste de l'asile, et que la seule consigne que ses médecins ont pu lui donner, c'est "écris". Nuit d'été, il faut le souligner, et je m'en sens en partie responsable, moi qui n'ai pas pris la peine d'en parler lors de sa sortie, est un roman qui n'a pas du tout trouvé son public lors de sa sortie, comme si la presse, à la simple évocation du mot "fée", avait prudemment reculé dans l'ombre, craignant quelque sortilège. Tout ce que je vous demande aujourd'hui, c'est de vous fondre dans cette nuit, de donner une chance à ce bijou et, si vous l'aimez, de répandre la bonne nouvelle ici ou ailleurs - contrairement à une croyance répandue, la poussière de fée ne fait pas mal aux yeux. "Au sommet de la colline, juste au-delà du seuil des perceptions humaines ordinaires, une porte s'ouvrit dans la terre, laissant échapper une lumière aussi fine et chatoyant qu'un soleil automnal."

Deuxième trésor : Les Maraudeurs de Tom Cooper. Celui-ci, superbement traduit par Pierre Demarty, s'est déjà vendu, en quelques jours, plus que Nuit d'été en quatre mois, et je ne sais pas si c'est à cause du bandeau-blurb de Stephen King ou de l'alligator sur le couverture, mais on s'en moque : c'est un sacré bon roman, âpre et intense comme on aime, sur lesquels les producteurs de Breaking Bad ont apparemment eu la bonne idée de se pencher. Le cœur du livre, c'est Jeanette, petite bourgade de Louisiane frappée successivement par l'ouragan Katrina puis par la marée noire BP. Amputé d'un bras, accro à la bouteille et à l'OxyCotin, l'improbable Gus Lindquist arpente les marais enténébrés à la recherche du trésor du célèbre corsaire Jean Lafitte. Pour prix de ses efforts, il reçoit très vite un mail d'encouragement anonyme : TAPPROCHE PAS DES ILES, CONARD. Le ton est donné, le décor est planté, le reste, c'est l'art consommé du conteur, la moiteur du bayou, et les personnages, bien sûr : les frères Toup, jumeaux psychopathes spécialisés dans la culture de marijuana, Wes Trench, un ado qui tient son père pour responsable de la mort de sa mère lors du passage de l'ouragan, ou Brady Grimes, employé de BP chargé d'inciter les habitants de Jeannette à renoncer aux poursuites en échange d’un chèque. C'est féroce, c'est hilarant, ça prend aux tripes, c'est l'Amérique profonde, celle qui palpite et secrète des histoires. Comme le résume Lindquist : "Rien à foutre de New York."

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