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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

cette fois ça y est : c'est la guerre

Publié le 6 Mai 2015 par F/.

cette fois ça y est : c'est la guerre

Je n'ai rien contre Vargas ou Ruffin, la vérité, c’est que je n'ai plus rien contre personne depuis quelque temps, mais force reste tout de même de constater que le petit Landerneau français, dès lors qu'on rêve au miracle d'un discernement littéraire généralisé, marche sur la tête plus souvent qu'à son tour : si ce milieu était une personne, pour être plus clair, ce serait un type sans cesse hilare, promenant en laisse un émeu borgne et incapable de se remémorer son propre nom. Faut-il le rappeler ? Nous évoluons dans cet univers étrange où Confiteor a vu le Médicis du meilleur roman étranger lui passer sous le nez, où Michel Onfray vend plus de livres en une journée que David James Poissant en dix, où les couvertures de romans en vente libre s'ornent désormais de chatons sur fond fluo et où des gens apparemment dotés d'un intellect s'avèrent capables de confondre une dissertation de 3e pompée sur Wikipedia avec une œuvre majeure. Un exemple plus récent (et il est d'autant plus amusant de l'évoquer que le roman de Jaume Cabré est cité en quatrième de couverture) : la sortie récente chez Belfond de A la guerre comme à la guerre ! , sixième roman d'Aleksandar Gatalica mais premier traduit en français, saluée, à quelques louables exceptions près, par un silence médiatique si assourdissant qu'on se demande si certains journalistes n'ont pas été payés pour ne pas en parler (autre explication possible : c'est un livre copieux avec plein de mots). Mais nous ne laissons pas aller à une snob mélancolie ; nous devrions être ravis de vivre dans un monde où de tels livres existent, dans un pays où de tels livres sont traduits.

De quoi s'agit-il ? D'une sorte de gigantesque et homérique canevas (soixante-dix-huit personnages fictifs ou réels, du Baron Rouge à l'avisée Kiki de Montparnasse ("elle n'avait pas de complaisance pour les idéalistes, mais n'aimait pas non plus les brutes") en passant par le soldat Cocteau, Trotski et un jeune caporal à moustache passablement énervé et in fine sauvé par un chien) conçu non pour circonscrire - mission impossible - mais pour infiltrer la Grande Guerre, la sentir de l'intérieur, en somme, à la manière d'un moustique qui, passant d'un corps à l'autre, prélèverait chaque fois un minuscule mais crucial tribut de liquide biologique vital. Car de sang, le sang qui coule, le sang qui gicle, le sang qui passe, les liens du sang, la soif, l'appel, il est avant tout question de cela dans ce millefeuille en forme de mausolée baroque. De sang et de théâtre, d'une scène crasseuse, d'un rideau noir - soixante millions de rôles principaux, neuf millions de morts, et le prix des meilleurs décors décerné à un dieu indolemment absent - les tranchées, un opéra, un village arménien, des cafés bruissant de rumeurs (la Coupole, la Rotonde, la Closerie & ailleurs, la caméra ne cesse de glisser, en fait, on croit la tenir et elle s'envole, emportée par une brusque rafale), des trains, des hôpitaux, des capitales, Apollinaire et ses souvenirs et ses camarades rats, des troufions, des batailles, des espions, des fantômes, des rêves, des mensonges et des mages, des lettres, des ratiocinations pathétiques, des révélations merveilleuses, des confessions en forme de jérémiades, des monstres de mer et la Mort, surtout, la Mort qui ricane et se cure le nez au milieu de tout ce barnum immense, terrible, bouillonnant, toute cette démence incommensurable, ce concert de voix au désespoir : la guerre et rien qu'elle, en 530 pages plus serrées qu’un café à l’arsenic. C'est émouvant, c'est grand, c'est fou, c'est souvent drôle et c'est tragique d'être si drôle, c'est impitoyablement documenté, et on devrait tous boire des bières avec Aleksandar en attendant qu'il épuise son kaléidoscopique sujet, c'est-à-dire jamais. Je ne sais pas trop ce que les gens lisent au lieu de lire A la guerre comme à la guerre !, au lieu de se souvenir d'où ils viennent et quels martèlements insensés faisaient vibrer le sol de leurs ancêtres il n’y pas si longtemps mais vraiment, il n’est pas trop tard pour les lauriers, faisons une fête à ce livre enchanteur et atroce, il est unique en son genre.

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L
C'est un excellent roman ! :)
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