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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

que vous avez de grandes dents

Publié le 20 Octobre 2015 par F/.

que vous avez de grandes dents

Panthère de Brecht Evens est la chose la plus effrayante qui me soit tombée entre les mains depuis bien longtemps. Une petite fille, Christine, vient de perdre son chat - euthanasié chez le vétérinaire. Toute la maison fleure la perte et l'abandon (la mère, il y a quelque temps, a quitté le domicile familial en promettant de se "foutre en l'air"). Ne reste, si l'on peut dire, que le père : falot, dégarni, impuissant. Une panthère survient, sortie du tiroir d'une commode. Transformiste, cajoleuse, séductrice, intrigante, la bête n'a pas de forme ou plutôt : est toutes les bêtes à la fois, modifiant son apparence et son discours au gré des pages, improvisant pour la fillette les fables les plus baroques, les mensonges les plus abracadabrantesques. Des amis chers disparaissent, reviennent changés d'on ne sait où ; le père s'interroge, ou feint de le faire. La maison devient un labyrinthe d'où n'importe quoi peut surgir. Affublée d'un nœud-papillon et d'un fume-cigarette lui conférant une allure aristocratique pleine d'un mépris discret, "Panthère" est assez intelligente pour devenir, le temps d'une pause tendresse, la grosse peluche pataude dont Christine a visiblement besoin. Mais au fil de l'album, semé de visions fulgurantes, belles et vénéneuses comme des toiles de Chagall ou de Kandinsky, elle envahit peu à peu l'album telle une folie inévitable, et c'est le spectre de l'inceste qui, bientôt, se dessine au détour des gouffres. Peur du vide, peur de la présence, cri omniprésent de la mort et de la folie, rien n'est épargné à la petite Christine qui, forcée de grandir à vue d’œil, elle aussi, pour ne pas succomber à la présence totalitaire, déploie un arsenal de dérobades et de refus timides, jusqu'au "non" final, merveilleux d’ambiguïté. Brecht Evens - génie pré-trentenaire - a traversé une profonde dépression tandis qu'il travaillait à cet album. On sait la beauté nauséabonde de pareils voyages, on en sent partout, ici, la perverse intensité. Livre pour enfant ? Peut-être que oui - peut-être faut-il prendre le risque de cette violence, tant est radicale, en retour, l'intelligence intuitive des pré-adolescents, qui bien souvent sentent tout et laissent aux autres le soin de tout croire. L'album, en tout cas, est un monument en "perpétuel effondrement" dont le souvenir vous hantera bien après la dernière page tournée.

que vous avez de grandes dents
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A
Absolument d'accord. Et fort bien transmis... Mon dernier coup de coeur jeunesse pas pour enfants, dégoté il y a pourtant un moment. A avoir dans ses piles de bouquins.
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