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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

à la grimace

Publié le 13 Novembre 2015 par F/.

à la grimace

Donc : écrire contre un régime, c'est faire souffler entre les lignes le vent du rire et le souffle du grotesque, dire l'inquiétude sourde que font grandir, dans le tréfonds des âmes, les appétits d'un potentat ogresque, d'un régime que rien ne saurait rassasier -, c'est rappeler que le Mal, certains le craignent et le décrivent mais d'autres vivent avec, et malgré lui : ici, les Russes. Avec Soupe de Cheval, sidérante novella initialement publiée en 2007 dans le recueil Pir ("Festin"), Sorokine, dont les livres ont été, il y a quelques années, déchirés en place publique par les Jeunesses poutiniennes, renoue avec la tradition post-gogolienne d'un certain récit court - hénaurme et effaré, bien sûr, mais aussi sans recours. Croisé dans un train, un certain Bourmistrov rémunère grassement une jeune femme, Olia, pour la regarder manger, simplement. A l'étonnement vite lassé de celle qui avale, l'homme oppose une série de grognements orgasmiques qui vont crescendo : "oh noooon !", beugle-t-il chaque fois, proche de défaillir. La nourriture devient étrange : hachée menue, d'abord, puis de plus en plus rare, éparse, tandis que le cérémoniel du repas lui-même gagne en solennité absurde. Un jour, Olia se marie et décide d'arrêter les frais. De manger pour elle-même, quoi. Elle se rend compte alors qu'elle n'est plus capable d'avaler quoi que ce soit.

"Ne crains rien, Petit Chaperon rouge." Fable éminemment moderne autant qu'étonnamment classique (le contexte mis à part - mais le contexte fait tout -, elle pourrait avoir été écrite il y a un siècle), Soupe de Cheval révèle tout sans rien dire : notre troublant besoin de soumission, le vide que les méchants font naître en nous, leurs appétits impossibles à rassasier (ils essaieront quand même), le plaisant miroir que nous leur tendons lorsque, à notre corps défendant, nous acceptons de nous prêter à leurs rituels faussement anodins - Pacôme Thiellement, dans un article paru en février 2015, explique tout cela bien mieux que moi. Quant à Sorokine, désormais suivi par les éditions de l'Olivier, il reste le trublion au regard pétillant et à la plume acérée que les Poutine de tout poil ont appris à haïr plutôt qu'à mépriser. Rien que pour cela, il faut acheter son livre.

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