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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

l'ascension du haut-mal ? (à propos de Batman)

Publié le 25 Juillet 2012 par F/.

Beaucoup, beaucoup à dire sur le Dark Knight Rises de Christopher Nolan. Prendre acte, pour commencer, du fait que le 3e volet de la trilogie achève de renvoyer le diptyque de Burton - sans parler des abominations qui lui ont succédé - au rang d'aimables fariboles Disney, et avec lui l'immense majorité, pour ne pas dire la totalité (on mettra de côté Watchmen et V pour Vendetta, par définition hors-concours), des films de super-héros produits maintenant depuis vingt ans. Batman parle de réalité : Gotham, c'est New York, le monde, ici et maintenant, et un film de super-héros adulte, tout simplement, est un film sur la fin des super-héros, leur déchéance, leurs contradictions insolubles. D'un point de vue purement scénaristique, DKR n'est sans doute pas meilleur ou plus puissant que son prédécesseur, mais les fans américains s'écharpant déjà depuis plusieurs jours sur les forums dédiés, vous m'excuserez de ne pas m'aventurer sur ce terrain glissant. Ma seule conviction, c'est que des types comme Nolan ou Cameron, étant données les inénarrables conditions de production imposées par les studios, ont dû construire eux-mêmes leurs propres armures et gadgets tordus pour passer entre les balles. Ici, le film se termine sur une pirouette un peu trop smart for its own good, qui pourrait laisser penser que le réalisateur n'avait pas 100% les mains libres, nonobstant ses déclarations ambiguës sur le sujet ("j'ai toujours su que la trilogie se terminerait comme ça" - certes, mais comme ça comment ?). Mais pour être honnête, le truc qui m'a dérangé, interpellé, travaillé, et qui continue de le faire douze heures après, il n'y a pas à tortiller, c'est l'arrière-plan politique. Clairement, Bane et son armée, les méchants de l'histoire, se posent en libérateurs lucifériens. Le premier endroit qu'ils investissent, c'est la Bourse, et le premier dialogue donne le ton.

  1. GPD Special Operative : This is a stock exchange. There's no money for you to steal.
  2. Bane: Then what are you people doing here ?

Plus tard, John Dagget, l'un des grands pontes qui a tenté de manipuler Bane, lui rappelle qu'il le paie.

Dagget : I’m the one in charge here !
Bane : Do you feel in charge ?
Dagget : I’ve given you a small fortune !
Bane : And you think this gives you power over me ?

OK. Brillant. Brillant et bizarre, et sacrément fucked-up, en réalité. Parce que Bane, ne l'oublions pas, est un méchant. Bane est une ordure qui veut détruire la ville (on ne comprend d'ailleurs pas exactement pourquoi - pourquoi il prend son temps, je veux dire). L'ennemi désigné, le 1% de connards qui possède 99% des richesses, est d'abord présenté comme le mal à abattre, jusqu'à ce qu'on se rende compte que son adversaire est pire encore. Ça me rappelle un peu nos campagnes présidentielles depuis cinquante ans. Oui, le libéralisme c'est de la merde, oui, c'est injuste et oui, vous l'avez grave dans le cul mais franchement, les mecs, vous voulez vraiment Staline à la place ?

Qui est Batman, au final, sinon la vague mauvaise conscience du système en place, un type milliardaire et boiteux qui finira par tout perdre mais n'en restera pas moins, soi-disant et pour quelques obscure raison, assoiffé de justice ? Comme le conseillait un patient commentateur il y a peu, peut-être serait-il plus raisonnable de ne considérer la trilogie, et toutes les histoires de super-héros, en fait, que sous l'angle de l'entertainement, voire, comme on peut s'y autoriser ici, d'une certaine métaphysique cheap. A cet égard, bien sûr la trilogie de Nolan restera comme un morceau de bravoure inégalé (j'ai encore en travers de la gorge les pénibles gesticulations des Avengers - hey, les mecs, la prochaine fois que je veux rigoler avec Robert Downey Jr., je me retape Tonnerre sur les tropiques). Sur un plan idéologique, les données sont moins claires. D'accord, DKR emprunte à Dickens et à la Révolution française. Mais pour dire quoi, au juste ? Que laisser le pouvoir au peuple, c'est vraiment n'imp ? Rien n'interdit de penser, en définitive, que les véritables forces de l'ombre sont celles d'Hollywood, dont l'idéologie pragmatico-capitaliste gentiment répugnante n'en finit plus de contaminer le coeur du système. A ce propos : il y a un réacteur, tout au long du film, qui menace d'exploser et de rayer la ville de la carte. "Tout va s'embraser", promet faussement l'affiche française, là où son pendant américain se veut plus prudent : "Welcome to a world without rules." Le truc assez pervers, c'est qu'on se prend assez souvent à espérer que Bane va gagner : que le masque de Batman ne lui sera pas rendu, et que l'aveuglante explosion finale réglera une fois pour toutes le problème Gotham. Dark Knight Rises joue-t-il avec l'éventuelle conscience de gauche de ses spectateurs comme avec une grenade dégoupillée ? De quoi parle-t-on, quand on dit lumière et quand on dit ténèbres ? Que doit-on se souhaiter ? Enfin, peut-être que je délire complètement. La veille de la sortie, un type a déboulé dans une salle et a ouvert le feu. J'aurais adoré pouvoir en tirer une conclusion pertinente mais tout indique que James Holmes, qui n'a même pas pris le temps de voir le film, était juste un pauvre connard ahuri, infoutu de se flinguer lui-même pour clore sa propre histoire vide de sens. Les temps sont durs pour les villains.

 

390_James_Holmes

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U
Au Mexique, ils ont la Lucha Libre, source d'inspiration de l'inénarrable Nacho Libre avec Frank Black. C'est tout de même plus fun et moins prise de tête.
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P
Votre article est interessant mais je pense que vous avez lu dans Batman ce que vous avez bien voulu en lire. Oui le monde de Batman est manicheen. Oui, le mechant est extremement mechant et Batman<br /> assoife de justice. Mais de la a dire que l'on denonce la gauche au pouvoir comme un mal a retardement... je pense qu il y a de la marge. Ce que j'y ai vu plutot c'est la denonciation de la<br /> faiblesse humaine sans lois et la tendance irrepressible a la denonciation. Et notre pays connaita helas bien connu cette problematique. Alors dans Batman on est bon ou mechant mais n'est ce pas le<br /> propre des intrigues hollywoodiennes ? Cela enleve-t-il franchement le charme de ce grand spectacle ?
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L
Je ne suis pas sûr de jamais réussir à lire ce genre de film comme toi, mais j'aime bien ce que tu en dis. Moralité, j'essaierai d'aller le voir.
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&
"Rien n'interdit de penser, en définitive, que les véritables forces de l'ombre sont celles d'Hollywood, dont l'idéologie pragmatico-capitaliste gentiment répugnante n'en finit plus de contaminer<br /> le coeur du système."<br /> Bingo !<br /> Faut reconnaître, un truc qui exporte des histoires - donc des idées - dans le monde entier, et qui en plus permet de gagner une montagne de fric, ce serait dommage de ne pas s'en servir d'une<br /> façon un tantinet idéologique, non ? Griffith n'a sans doute pas été le premier, et Nolan ne sera pas le dernier, à l'insu de son plein gré ou pas.
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