Tenter de convaincre ses détracteurs que Tree of life est un film immense serait aussi inutile que, par exemple, d'expliquer Turner à un amateur exclusif de comics - et je n'ai rien contre les comics. Le cinquième film de Malick est une oeuvre totale : un poème, avant toute chose, qu'il serait vain de juger à l'aune de la production cinématographique actuelle, et muni des critères d'évaluation mundane. C'est un film habité - littéralement - par la grâce. Tout ce qu'on peut lui reprocher : lourdeur, ennui, lyrisme pompier est, sous un certain angle, recevable, mais celui qui montera réellement dans l'arbre n'en descendra plus, ne voudra plus jamais en descendre. Je suis un amoureux de Malick - j'aime, de façon générale, les mégalomanes prétendant faire entrer la vie entière dans une oeuvre d'art : Dostoïevski, Kubrick, Joyce et quelques autres, et il me semble qu'il est primordial de lâcher prise avant d'entrer dans ce film, comme on entre dans une église. Le réalisateur, d'ailleurs, est assez clair là-dessus, qui montre le sommet infini de l'édifice, mais aussi un enfant enjambant bravement les bancs, ou un homme à genoux, incrédule, ou des gens qui sortent et se perdent - ils ne se retrouveront que lors de la séquence de presque-fin.
Un artiste véritable ne devrait rien tenter d'autre, selon moi, que de se brûler au feu du mysticisme le plus ardent, et échouer magnifiquement, bien sûr. Il y a des corps en mouvement, dans Tree of life, de la matière en fusion, un mélange constant de grâce et de force qui dit le mystère de la vie et la nécessité de l'abandon. Jamais, je crois, je n'avais vu conjugués avec une telle efficience et une telle profondeur la forme et le fond d'une oeuvre filmée. On peut revoir le film dix fois, penser que le cinéma ne sera plus jamais pareil après ça, ou seulement un peu plus vain, un peu plus futile, et on peut aussi se lever en se jurant que plus jamais. "Je ne sais pas ce que j'ai vu", dit ma femme. Je pense que c'est à peu près ce qu'on ressent lorsque l'on meurt. "Je ne sais pas ce que j'ai vu".
A la fin du film, quand les lumières se rallument, des spectateurs rient ouvertement. Dieu, la vie, tout ça ressemble effectivement à une arnaque incompréhensible.
D'autres disciples restent assis, sidérés. J'en suis.