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(please follow) the golden path

Llittérature, films, séries, musique, etc.

liban (2)

Publié le 4 Novembre 2011 par F/.

 

En termes de loose, l’hôtel Port View (qui n’offre aucune vue sur le port) ne fait pas les choses à moitié. Ce n’est pas l’hôtel qui déconne un peu, non, on ne situe pas ici dans le domaine du “décevant” ou du “légèrement insuffisant”, certes pas : radicalité est le mot d’ordre.

Ce matin, je me suis demandé si quelqu’un n’avait pas été payé, check-list à l’appui, pour saccager méticuleusement toute potentialité de confort minimal. Le petit déjeuner est infect. Le Wifi fonctionne en mode aléatoire. Il manque un anneau au rideau de douche. L’eau chaude ? Quelle eau chaude ? La télé ne marche que par intermittence. La fenêtre ne ferme pas. La literie est grotesque. Les savons ne sont pas remplacés. Une serviette a disparu. L’ampoule unique donne des signes de faiblesse. Le robinet du lavabo est pété. Il est par ailleurs illusoire de vouloir tirer la chasse d’eau puis prendre une douche : il y a un choix à faire. Je n’ai pas vu de blattes, en revanche. Je suppose qu’elles se sont passé le mot : « Euh, Jeff, je serais toi, je n’irai pas traîner sur ces murs-ci. »

A côté de ça, le type de la réception est très sympa, et un brin facétieux. Un copain a demandé à être remboursé de sa dernière nuit pour aller la passer au Palm Beach. Pas de problème. Le copain en question, tout content, a empoché son fric avant d’appeler le Palm Beach : oups, cher monsieur, nous n’avons plus de place. Un peu penaud, le copain est retourné au comptoir. « Finalement, je vais reprendre la chambre. » Soupir du taulier : « Ah oui mais non : on est complets, maintenant. »

Le salon du livre est sympa et facétieux, lui aussi. A l’entrée, une sorte de vigile paramilitaire au féminin nous empêche d’entrer. « Mais on est auteurs ! » Elle secoue la tête. « On a des signatures à faire ! » Haussement d’épaules. « Des classes à rencontrer ! » Elle regarde ailleurs.

Une responsable arrive, lui explique la situation. La nana n’en démord pas. Elle a dû recevoir des ordres et elle s’y tient. En un sens, c’est rassurant. Sauf qu’il pleut, et qu’on est dehors.

Enfin, on nous laisse entrer. A l’intérieur du hall, quatre mille gamins en uniforme ont déjà envahi les allées.

Je dois rencontrer une classe. Elle ne vient pas, because la pluie. Une autre classe arrive à sa place. De jeunes Arméniennes aux noms magiques qui n’ont évidemment pas lu mes livres. Leur prof me demande de leur parler « quinze minutes ». Je m’exécute. La prof est très contente. Elle loue mes talents, les larmes aux yeux. « Vous êtes vraiment très gentil, je vous remercie beaucoup. » J’apprendrai plus tard qu’elle a perdu un fils dans un attentat, il y a trois ans, et que le type avait exactement mon âge.

La prof cligne des yeux. « On peut acheter vos livres ? » Je lui dis que je suppose. Je pars m’enquérir auprès du libraire. « Vous avez mes livres ? » Le libraire hoche la tête. « Oui, mais on ne les met pas parce qu’ils se vendent très bien. Demain, à ce rythme, il n’y en aura plus. » J’essaie de comprendre en quoi c’est un problème. Le type m’explique que j’ai une signature le lendemain à 18h et que ce serait dommage qu’il n’y ait plus rien à signer. Ouais, ça se tient. Le seul problème, c’est que personne ne vient à 18h – le copain su-cité me le confirmera plus tard dans la journée. Finalement, quelques Petit Prince / l’adaptation sont mis en vente. Ils partent en un quart de seconde.

Soirée : nous sommes invités chez les libraires en question, qui possèdent aussi, d’après ce que j’ai compris, les trois quarts de l’édition libanaise diffusion comprise. Nous roulons une demi-heure et arrivons dans une sorte de villa hollywoodienne légèrement hallucinante : le salon, décoré de tapisseries à deux cent mille dollars, doit faire quatre fois la taille de notre appartement parisien. La maîtresse de maison, la soixantaine, s’exprime avec une sorte d’accent russe exquis. Toutes les filles locales portent des robes de soirée somptueuses, scintillantes. Personnellement, je suis vêtu d’un jean crotté et d’un t-shirt Relax I’m hilarious. Un loufiat me sert un gin tonic. La maîtresse de maison approche. « Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi triste que vous. » Je hausse un sourcil. « Vous exsudez une tristesse insondaaaable. » Je dis Ah bon, on ne m’a jamais fait la remarque. Elle ricane. Attendez, je dis, un peu vexé, en fait, je suis très joyeux. « Peut-être, mais vos yeux, il y a une immense mélancolie dedans. » Ok ouais d’accord.

Je sors prendre des photos sous la pluie. La terrasse donne sur la baie plongée dans la nuit, immense. Los Angeles, vraiment. L’averse redouble de vigueur. Retour à l’intérieur. Je fous de l’eau partout. « Ah, je croyais que c’était une tenue de camouflage », me dit quelqu’un. Je mange des carottes crues histoire de faire diversion.

Buffet. La nourriture, absolument pas locale, est à tomber. La maîtresse de maison revient à la charge. « Je suis joyeux », lui dis-je un peu absurdement. « Oui, mais vous êtes mélancolique. » Je souris. « Y a pas de quoi rire, vous savez. On va tous mourir à la fin – je suis sûr que vous êtes au courant. » Ses yeux se plissent : « C’est un problème, pour vous, la mort ? » Je lui dis Non. Je lui dis que le problème, c’est d’être séparés des gens qu’on aime. « C’est un problème pour vous ou pour eux ? » Les deux, mon général. Et je reprendrais volontiers un gin tonic, maintenant que j’y pense.

La maîtresse de maison me demande mon signe. Cancer. « Ah ! Comme ma fille ! » Je souris encore. « Euh, c’est bien, non ? » Elle secoue la tête. « Vous ne ressemblez pas du tout à ma fille. Pour commencer, vous n’êtes pas enceinte. Et puis vous êtes mélancolique. Elle, elle est désespérée. »

Le mari arrive. Très gentil, le mari. Lui et sa femme jouent pendant toute la soirée à « Je t’aime moi non plus. » Il désigne mon t-shirt. « Regarde, dit-il à son épouse, son t-shirt annonce le programme. » La femme secoue la tête. « Tu parles sans savoirrrr. »

Putain, je ne mettrai plus jamais ce t-shirt en public.  

Retour à minuit dans les rues larges et mouillées et désertes de la ville. Le vent courbe les palmiers, des avenues sinuent entre des immeubles fracassées et des villas dantesques et d’autres immeubles dont la construction s’est interrompue à mi-parcours et ne sera jamais reprise faut de crédits.

La réception de l’hôtel est encore ouverte. Je monte vers ma chambre. Ce soir, encore, le PSG a gagné, c’est le Wifi ressuscité du RdC qui me l’a dit. Je lis quelques pages de Limonov et m’endors. Mélancolique, mon cul.

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L
<br /> +1, Pascal.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> You ARE hilarious. Quoiqu'un brin mélancolique, peut-être...<br /> <br /> <br />
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