Et donc, Amour de Haneke : Césars, Palme d'Or, Oscars sans doute, et tout le reste - une ribambelle de récompenses si impressionnante qu'elle ringardise désormais tout discours critique, comme son thème et son casting défiaient d'emblée l'attaque frontale. Soit on est pour, et Dieu merci, soit on est contre, et qu'est-ce qui ne va pas chez vous. En fait, je sais exactement ce qui ne va pas chez moi et pourquoi je n'aime pas ce genre de films (et pourquoi j'avais détesté, dans un tout autre registre, La Guerre est déclarée) : je les trouve paresseux, formidablement autocentrés. Une femme, Anne, meurt lentement. Georges, son mari assiste à sa déchéance ; il fait ce qu'il peut, c'est-à-dire pas grand-chose. C'est assez horrible. Et ? Rien, c'est tout, et le film entier tourne autour de ce rien, lisse et dur comme un monolithe, la dimension spirituelle en moins. A un moment donné, Georges, rendu à sa solitude, écrit une lettre : pour expliquer son geste ? On ne le saura jamais : ce serait faire entrer l'histoire dans le dispositif, ce serait lui donner du sens - une vulgarité que Haneke, en digne rigoriste du désespoir, ne saurait se permettre. Un journaliste de Slant explique ça bien mieux que moi : "Haneke's gaze, trained from an unbridgeable remove, carries no inflection of empathy ; his style is too frigid, his investment too remote, for the world of these characters to open up before us, for their pain to ever feel like something more than functional." Il y a cette scène, vers la fin du film, où Georges vire une infirmière : forcément un peu conne, forcément vulgaire, elle aussi. (Faut-il le préciser : le couple n'habite pas Sarcelles, à première vue - il vit dans un bel appartement avec parquet, sans télé, beaux tableaux et musique classique). Eh bien, je me suis senti un peu comme cette fille. On m'a fait venir, maintenant j'ai le droit de repartir, et je ne sais pas du tout quel sens donner à ça.